Depuis octobre, la Fondation Louis Vuitton consacre l’une de ses plus grandes expositions à Gerhard Richter, figure majeure de la peinture contemporaine. Peintre à la fois abstrait et figuratif, Richter n’a cessé, depuis plus de soixante ans, d’interroger ce que signifie “peindre”. Cette rétrospective parisienne rassemble plus de 150 œuvres, du réalisme photographique de ses débuts jusqu’à ses vastes tableaux abstraits où la couleur devient matière et mémoire.
Un parcours rare dans le monde de l’art contemporain
Dès l’entrée dans les salles blanches dessinées par Frank Gehry, on comprend que la Fondation Louis Vuitton a voulu rendre hommage à la liberté du peintre.
Les œuvres ne se contentent pas d’être accrochées : elles respirent, dialoguent avec la lumière et l’architecture. Sur les murs, des toiles monumentales recouvertes d’acrylique ou d’huile sur toile vibrent sous les reflets changeants. Certaines sont presque géométriques, d’autres plus lyriques, mais toutes possèdent cette tension propre à Richter : une lutte entre le chaos et la maîtrise. Le visiteur passe ainsi d’un portrait hyperréaliste à une abstraction totale, comme si l’artiste refusait de choisir entre le visible et l’invisible. On croise des œuvres majeures comme Betty ou Abstraktes Bild, qui condensent à elles seules son génie : un sens aigu de la composition, un goût pour les formes abstraites et une fascination pour le geste pictural.

Le geste du peintre : entre contrôle et hasard
Richter peint souvent avec une raclette, qu’il fait glisser sur la toile pour créer des couches successives de couleurs. Ce geste, à la fois brutal et délicat, donne naissance à des tableaux abstraits d’une profondeur hypnotique. Les pigments se mélangent, s’effacent, se superposent. Le résultat paraît spontané, mais chaque geste est réfléchi, presque musical. On pense parfois à Pollock ou à Kandinsky, mais Richter s’en démarque : il ne cherche pas l’émotion pure, il cherche le vrai — ce qu’il appelle “la trace du réel dans l’abstraction”.
Son œuvre raconte aussi le doute. Le peintre, formé aux Beaux-Arts de Dresde, a connu l’après-guerre, les idéologies, les murs qu’on dresse et ceux qu’on détruit. Peindre devenait alors une manière de respirer, de reconstruire le monde à sa façon. C’est peut-être là que se trouve la beauté de sa démarche : peindre pour comprendre.
Un dialogue entre abstraction et figuration
L’exposition met subtilement en scène cette alternance qui traverse toute sa carrière.
Dans une salle, des paysages brumeux évoquent la peinture classique, presque romantique. Dans la suivante, des toiles abstraites explosent en strates colorées : bleus profonds, gris métalliques, rouges vifs. Richter passe du figuratif à l’abstrait comme on change de respiration. Il brouille les frontières, joue avec nos repères visuels et nous oblige à regarder autrement. Le spectateur avance lentement, happé par la matière. On devine sous les couches d’acrylique sur toile les traces du pinceau, parfois du chiffon ou même des doigts. Chaque œuvre semble vivante, prête à se transformer sous le regard. Ce qui frappe, c’est la sincérité du geste — cette volonté d’aller au bout de la peinture sur toile, sans artifice.

L’abstraction comme expérience sensorielle
Dans cet espace épuré de la Fondation Louis Vuitton, les tableaux contemporains de Richter prennent une dimension presque méditative. Certains évoquent des paysages vus de très loin, d’autres des météores ou des miroirs déformés. On pourrait parler d’abstraction lyrique, mais ses œuvres échappent aux étiquettes. Elles vibrent entre peinture murale, toile moderne et installation picturale, sans jamais renier la main du peintre. Une section entière est consacrée à ses aquarelles abstraites, plus petites, plus fragiles. On y retrouve la même tension, mais dans un format intime. Les teintes pastel se mêlent à des dominantes beiges ou argentées, créant des tableaux décoratifs d’une finesse presque zen. Ces œuvres dialoguent naturellement avec l’architecture en verre du lieu, transformant la salle en une véritable galerie d’art vivante.
La nocturne : une autre façon de voir la couleur
Les amateurs d’art contemporain ne manqueront pas la nocturne Gerhard Richter, organisée certains soirs. Sous un éclairage tamisé, les œuvres changent littéralement d’allure. Les toiles abstraites deviennent plus profondes, les tons bleus et violets se détachent, les textures se révèlent. Le parcours se transforme en une expérience sensorielle : une immersion dans la peinture abstraite contemporaine, presque comme un concert visuel. Ce moment suspendu rappelle que, chez Richter, l’abstraction n’est pas une théorie : c’est une émotion. Un tableau moderne ne se regarde pas, il se ressent. Le visiteur en sort un peu sonné, comme après un morceau de jazz ou un coucher de soleil qui dure trop longtemps.

Le peintre et le temps
Gerhard Richter a aujourd’hui plus de 90 ans. Et pourtant, rien dans son œuvre n’a vieilli. Ses tableaux contemporains gardent cette fraîcheur, cette curiosité intacte. Il continue d’influencer des générations d’artistes peintres, de peintres abstraits et de créateurs figuratifs à travers le monde. Son art, profondément moderne, ne se limite pas à la peinture. Certaines de ses sculptures ou installations dialoguent avec la photographie, la lumière, ou même la musique. Il a fait de l’abstraction un langage universel, une manière de traduire le monde sans le décrire.
Une exposition à ne pas manquer
La Fondation Louis Vuitton réussit ici un coup de maître : rendre accessible une œuvre exigeante, sans la simplifier. L’exposition s’adresse autant aux passionnés d’art contemporain qu’à ceux qui découvrent la peinture abstraite pour la première fois. On y vient pour la beauté des couleurs, mais on en ressort avec le sentiment d’avoir touché quelque chose d’essentiel — la force du geste, du regard, du doute.
Infos pratiques
📍 Fondation Louis Vuitton, 8 avenue du Mahatma Gandhi, 75016 Paris
🗓️ Du 2 octobre 2025 au 9 mars 2026
🕒 Ouvert tous les jours sauf le mardi – nocturnes les vendredis
🎟️ Billets sur : fondationlouisvuitton.fr
🎨 Exposition d’art contemporain – Peinture abstraite – Gerhard Richter
En résumé
Cette exposition Gerhard Richter n’est pas seulement un hommage. C’est une traversée de l’histoire de la peinture abstraite, un dialogue entre le visible et l’invisible, un pont entre la rigueur du dessin géométrique et la poésie du geste spontané. Un peintre contemporain au sommet de son art, et un lieu, la Fondation Louis Vuitton, qui lui offre enfin l’espace et la lumière qu’il mérite. Une invitation à voir la peinture autrement, à s’abandonner à la couleur, à la matière, à cette émotion pure que seul l’art peut offrir.


